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Photo du rédacteurJulie Charquet

Qigong Tuina, une discipline médicale, une Voie, un héritage aux dimensions multiples...

Dernière mise à jour : 20 juil.

Qu'est ce que le Qigong Tuina? Quelles sont ses origines et ses spécificités au regard des autres pratiques de Médecine Traditionnelle Chinoise? Cet article propose une visite de cet univers médical riche et profond, qui intègre les connaissances issues des grandes traditions de la culture chinoise, aux dimensions énergétiques et spirituelles les plus universelles.


Le Qigong Tuina est une discipline manuelle de Médecine Traditionnelle Chinoise issue de la lignée Bai.

Un peu d’Histoire… :


Le Qigong Tuina de la lignée Bai est une pratique de Médecine Chinoise manuelle issue des savoirs d'une lignée de Médecins Chinois de grande réputation: la famille Bai.


La famille Bai fût célèbre dès la fin de la dynastie des Ming (17ème siècle), ayant fondée le Bao Sheng Tang, hôpital légendaire de Médecine Traditionnelle Chinoise. Elle en conservera la direction jusqu’à sa nationalisation en 1949.

Aujourd’hui la famille Bai est encore connue du grand public chinois à travers une série télévisée, « La Porte de la Grande Demeure » (Da Zhai Men大宅门), retraçant l’histoire de Bái Jǐng qí à la fin du 19ème siècle, qui possédait la plus célèbre pharmacie de plantes médicinales de la capitale (Tong ren tang 同仁堂). Cette série raconte les tumultes que subit la médecine traditionnelle à travers l’histoire de la Chine, de la fin de la dynastie Qing (1644-1911) jusqu’à l’époque Contemporaine.


Dans les années 80, le Professeur Bai Yongpo fût le co-fondateur, professeur et directeur de l’Université Guangming de médecine chinoise à Pékin. Cette école permit un retour à une pratique traditionnelle garantissant un haut niveau d’enseignement, que Bai Yongpo mit en place dans de nombreuses autres universités. Il vint en France à de nombreuses reprises et devint Président d’Honneur de l’Union Française des Professionnels de Médecine Traditionnelle Chinoise.


Son fils, le Professeur Bai Yunqiao 白云桥, issu de la 7ème génération, fut le dernier médecin de la lignée familiale. Il concentra l'héritage de la lignée en créant une nouvelle discipline médicale "le Qigong Tuina" (气功推拿).

Bai Yunqiao a commencé à étudier la Médecine, les textes Classiques de la Culture chinoise, ainsi que les Arts Martiaux, dès l’âge de 6 ans.

A l’âge de 27 ans il reçoit la charge de proposer une série de formations avancées aux directeurs de cliniques de massage médical chinois dans tout le pays. Il est alors très influent dans le monde de la médecine chinoise. Il fût également le disciple du maître de Qigong Bouddhiste Shi Benzhen, et le dernier disciple et successeur de Li Molin, premier président de la fédération de massage médical de Chine.

A travers le Qigong Tuina, Bai Yunqiao s’est attaché à intégrer les dimensions fondatrices de l’héritage médical : spirituelles, énergétiques et savantes.


Amaël Ferrando, jeune praticien français de médecine traditionnelle chinoise, qui s’initia également aux arts martiaux dès son plus jeune âge, rencontra le professeur Bai Yunqiao en 2008 à l’âge de 24 ans. Il fût tout d’abord son disciple et reçut un enseignement des plus traditionnels, exempt de cours magistraux, mais nourrit de grandes discussions sur la médecine, la philosophie, les textes classiques que Bai récitait par cœur..., toutes venant trouver appui dans des cas cliniques concrets.

Aussi, la pensée n’est rendue vivante que par l’expérience de la matière.

Entre 2012 et 2017, il vécu plusieurs mois par an à Pékin, durant lesquels il travailla en étroite collaboration avec Bai Yunqiao, assistant à ses consultations. Il fût intégré dans sa famille à part en entière, puis reconnu comme successeur de la lignée sous le nom de Bai Yiyuan 白一元.

Avant son décès en 2017, le Professeur Bai demanda à Amaël Ferrando de diffuser l’enseignement du Qigong Tuina, et de rédiger un ouvrage qui en soit le reflet. Celui-ci rédigea 3 ouvrages sur le Qigong Tuina, afin de retranscrire l’essence des divers courants imprégnant cette approche :

- Qigong Tuina – Massage et automassage – Volume 1, éditions Chariot d’Or, 2017

- Qigong Tuina – Pratiques d’autoguérison par le Qigong – Volume 2, éditions Chariot d’Or, 2018

- Qigong Tuina – Philosophie et diagnostic, éditions Chariot d’Or, 2020. (1)


Les influences du Qigong Tuina :


- Spiritualité :

Depuis toujours la Médecine Chinoise a ses racines dans la pensée philosophique, et il est impossible de dissocier l’une de l’autre. Ses trois courants principaux, le Taoïsme, le Bouddhisme, et le Confucianisme, apportent un regard spécifique sur les dimensions de l’être, de la nature, de l’univers…, créant à eux trois une unité et une harmonie dans la compréhension de la complexité du vivant.

Il est dit « Le taoïsme fait l’humain, le confucianisme fait les affaires, le bouddhisme raffine le cœur ».


Le taoïsme est le fondement de la culture chinoise. A l’origine ancré dans les pratiques magiques et chamaniques, il représente l’essence de la pratique médicale, que la lignée Bai s’est attachée à conserver. Même s’il est emprunt de nombreux courants qui l’ont orienté durant l’histoire, nous pourrions dire que son aspiration est restée la même : transcender la dimension humaine de l’être pour retrouver « l’unité », la source de toute manifestation. C’est la « Voie du Retour », caractérisée par cette phrase issue d’un des textes les plus emblématiques de ce courant, le Dao de Jing (le livre de la Voie et de la Vertu) de Lao Zi : « La Voie suit la Nature » ( Dào fǎ zì rán

道法自然 ). La Nature étant ce qui est à la source de chaque chose, la dimension non-manifestée qui sous-tend toute existence. L’homme, pour reconnaître cela en lui, en tout, est invité à observer la dimension du « non-agir » wú wéi 无为 qui révèle le

« déploiement naturel de chaque chose », le mouvement de la vie qui suit son cours parfaitement selon une dynamique, un ordre qui dépasse les règles établies par les conditionnements humains.

Ainsi, « Pratique le non-agir et chaque chose prendra sa place », comme nous le propose cette traduction du verset 3 du Dao De Jing de Stephen Mitchell (2), ou encore « La capacité à se relier à l’indifférencié, à l’informel, au non encore advenu, permet aux situations de se réaliser selon leur lignes de force propres », selon l’analyse lumineuse du Yi Jing par Cyrille Javary (3):.


Pour aller plus loin, nous pourrions dire aussi que ces « lois de la nature », ont d’une certaine façon été observées par les Chinois depuis des millénaires, et sont à l’origine des principes fondamentaux de la Médecine Traditionnelle Chinoise : le Yin Yang, les 5 mouvements, les 3 Trésors etc.., mais aussi des pratiques martiales.

Dans les courants Taoïstes, le corps est un outil pour travailler l’esprit et développer sa dimension spirituelle. Les pratiques méditatives, respiratoires et énergétiques, regroupées sous le terme de Qigong, sont donc au cœur de la Voie.


Le Bouddhisme : Parmi les divers courants Bouddhistes, c’est le Bouddhisme Chan qui aura le plus influencé le Qigong Tuina. Celui-ci met l’accent sur la dimension du Cœur pour parvenir à l’éveil, la réalisation directe de « Ce qui Est », favorisée par la relation du maître (le Bodhidharma en serait l’initiateur) au disciple. Le Chan utilise la méditation dans une recherche du « Silence du Cœur » qui favorise le discernement entre l’illusion et le réel.

En MTC, le Cœur « héberge » la dimension spirituelle de notre être. Il s’agit de « raffiner son cœur de tout son cœur » : telle est l’invitation du « Soûtra du Cœur », afin de se débarrasser des émotions et encombrements psychologiques qui voilent notre perception de la nature profonde des choses, mais aussi affectent notre énergie vitale (notre santé).

Le chemin étant de chercher le « vide du Cœur ». Bien sur ici il ne s’agit pas du « vide du cœur » pathologique dont parle la médecine chinoise, mais plutôt son espace libre, qui permettra de révéler sa vraie lumière : « le Feu Empereur » tel que la MTC la définit... « notre vraie nature », la clarté qui illumine l’existence et nous libère de la souffrance, nous mène à réaliser l’Unité entre toute chose. « Cœur clair, vue pénétrante » (1). Ce qui est également très proche de la pensée Taoïste…


Le Confucianisme, lui, met l’accent sur la « bonne conduite ». Cette philosophie "humaniste" s’est développée à partir de l’œuvre de Confucius « Maître Kong » 孔夫子 (551-479 av.J.-C.) qui considère que l’Harmonie dans la société n’est possible que lorsque chacun occupe la place qui lui est destinée, et l’occupe convenablement. L’individu doit pouvoir évoluer et s’améliorer au sein d’une entité familiale, professionnelle ou sociale, et pour cela mettre en application 7 Vertus importantes qui le guident dans son droit chemin : le droiture (l’intégrité), la piété filiale, la bienveillance, la loyauté, le sens des rites, la sagesse, la fidélité.

« Les hommes de l'Antiquité qui voulaient organiser l'État réglaient leur cercle familial ; ceux qui voulaient régler leur cercle familial visaient d'abord à développer leur propre personnalité ; ceux qui voulaient développer leur propre personnalité rendaient d'abord leur cœur noble ; ceux qui voulaient ennoblir leur cœur rendaient d'abord leur pensée digne de foi ; ceux qui voulaient rendre leur pensée digne de foi perfectionnaient d'abord leur savoir ». Gerhard J. Bellinger, Encyclopédie des religions (4),

Ainsi, et comme l’indique la traduction du terme chinois pour Confucianisme: Rú jiā (儒家) « école des lettrés », une dimension particulière est attribuée à l’enseignement, le savoir permettant d’être meilleur dans notre tâche, mais aussi d’apprendre à mieux se connaître soi-même.

Cette doctrine « morale et sociale » s’appuie aussi sur l’importance de la piété filiale : en honorant et respectant ceux qui nous ont donné la vie, nous honorons et respectons la vie toute entière.

En s’améliorant individuellement, mais aussi en améliorant sa santé, l’homme peut améliorer les relations humaines, et servir au mieux le bien commun.


- Le Qigong et les Arts Martiaux :

qì gōng 气 功 signifie « le travail de l’énergie ».

A l’origine, les pratiques corporelles axées sur la maîtrise de l’énergie vitale prenaient source dans les pratiques chamaniques, qui ont fondées le Taoïsme ainsi que les Arts martiaux et bien sûr la pratique médicale Chinoise qui y est intrinsèquement liée.

« D’abord il y a la magie, après arrive la médecine ».(1)

Bien qu’il y ait eu d’innombrables formes de pratiques de Qigong à travers le temps et encore aujourd’hui, passant par la méditation, le travail du souffle, les mouvements corporels… ; on peut néanmoins y nommer les objectifs communs : l’autoguérison, l’entretient de la vitalité, et le développement des capacités latentes qui sont en nous.

Il s’agit de nourrir la vitalité, entretenir notre santé globale, afin d’accomplir au mieux notre « mandat céleste ».


Le travail du Qigong, comme outil de transformation de l’énergie interne, peut être mis en parallèle avec celui de l’Alchimie Externe, d’où leur vocabulaire commun : cinabre, foyers, feu, liquides, élixir… Dans certains courants Taoïstes, il est clairement question d’Alchimie Interne (Neidan 內丹), dont l’objectif dépasse l’entretient de la santé, et vise la transmutation des « trois joyaux (sanbao 三寶) » les 3 dimensions de l’être, que sont l’esprit, le souffle (l’énergie) et l’essence (shen qi jing 神 氣 精), pour réaliser le renversement de l’évolution qui tend naturellement vers la dégénérescence et la mort, afin d’aller vers l‘immortalité (ou retour au souffle originel).


De façon plus pragmatique, le Qigong est le fondement de la pratique clinique du Qigong Tuina. Il s’agit d’un Qigong spécifique au praticien, le « Qigong de la lignée Bai », issu des courants Martiaux dont s’est nourri le Professeur Bai Yunqiao.


La pratique de l’Art Martial se développe à partir d’une connaissance profonde et archaïque du fonctionnement du corps humain et de l’énergie. Ses règles sont l’application directe des sagesses ancestrales, aussi bien dans le combat que dans la conduite intérieure du pratiquant au sein de sa propre vie.

Le Qigong de la lignée Bai suit les méthodes de travail de la pratique martiale pour les appliquer au traitements du Qigong Tuina, dans une forme plus « interne et méditative », adaptée au travail de l’énergie nécessaire pour effectuer les « manœuvres » de Qigong Tuina, mais aussi au développement de la vitalité du praticien, et du ressenti énergétique nécessaire à la pratique médicale : Zhan Zhuang (postures debout), Shi Li (essayer la force), Shi Sheng (essayer le son), Tui Shou (mains collantes) ; la dernière étant le combat appliqué dont cette forme est exempte.


Wang Xiangzhai (1885-1963), fût un des personnage emblématique de l’Art Martial, ayant développé le style « Yi Chuan », ou Boxe de l’Intention. Cette approche, riche des divers courants martiaux dont il fit l’apprentissage, structure sa pratique autour de la posture « Zhàn zhuāng 站 桩 » (le pieu debout), également nommée Da Cheng Yang Sheng Zhuang (la posture debout du grand accomplissement pour nourrir la vie), ou plus communément en France : « la Posture de l’Arbre ». Cette technique est une sorte de méditation debout aux innombrables bienfaits pour la santé, lorsqu’elle est pratiquée régulièrement et pendant suffisamment de temps. L’enseignement du Qigong Tuina s’attache à placer Zhàn zhuāng au cœur de la pratique. C’est la discipline de santé de base, et il est recommandé au praticien de la mettre en application 1h par jour, afin qu’il puisse entretenir sa santé personnelle, la vitalité nécessaire au traitement des patients malades, mais aussi cultiver un esprit calme et méditatif, sensible aux ressentis énergétiques qui seront un appui pour la compréhension des mécanismes propres à la pratique de la médecine traditionnelle chinoise.


Le Qigong constitue donc pour le praticien :

- un outil de diagnostic de sa propre santé : en étant suffisamment à l’écoute, le pratiquant peut ressentir en lui les déséquilibres énergétiques (par les ressentis corporels ou par l’observation de son psychisme), et envisager des pratiques d’auto-traitement.

- un traitement de santé à part entière : les pratiques de Qigong ont des applications précises et en même temps extrêmement vastes, qui peuvent concrètement agir sur la santé physique ou psychique si elles sont appliquées correctement, adaptées à la singularité de chacun, et pratiquées suffisamment longtemps.

- un entretient de la vitalité : nécessaire pour tout praticien afin qu’il ne s’épuise pas dans cette technique exigeante qu’est le Qigong Tuina. Le Qigong renforce à terme l’énergie originelle dont dépendent toutes nos fonctions vitales.

- le développement de la sensibilité du praticien permettant d’être plus sensible à son patient, ce qui constitue une aide non négligeable au diagnostic et au traitement.

- le développement de la « puissance énergétique » : les manœuvres de Qigong Tuina s’appuient sur le travail de l’énergie, il s’agit d’un « Qigong appliqué au traitement médical ». Sans énergie, les pratiques seront vidées en partie de leur potentiel.

- et enfin le développement des « capacités latentes » : ce sont des facultés, aptitudes, présentes en chacun, mais qui demandent qu’un certain travail de raffinement se fasse de façon à s’incarner dans la vie de la personne. Ainsi, le travail de l’énergie interne qu’opère la pratique du Qigong, favorise le déploiement de tous les aspects de l’être, dans sa relation à la globalité.


- La connaissance médicale :

Le Qigong Tuina est une pratique à part entière de Médecine Traditionnelle Chinoise, au même titre que l’Acupuncture ou la pharmacopée. Il se base sur les même fondements théoriques, ainsi que sur le Bilan énergétique (diagnostic différentiel Biàn Zhèng 辩 证) afin de chercher la « Racine » du déséquilibre énergétique qui permettra de déterminer la méthode de traitement adéquate.

Aujourd’hui en France l’héritage de la connaissance en Médecine Chinoise nous vient principalement du Classique Interne de l’Empereur Jaune (Huáng dì nèi jīng 黄帝内经), qui aurait été rédigé et complété sur une longue période à partir de -500 av JC. Toutefois de très nombreux textes classiques médicaux sont encore accessibles, et certains écrits en Chinois sont encore traduits aujourd’hui.

Bai Yunqiao a commencé à étudier très jeune, apprenant entre 6 et 12 ans des textes médicaux classiques par cœur. Il aura également puisé dans les grandes spiritualités, mais aussi l’étude de ce qu’il nommait « la Grande Culture » : les expressions culturelles des grandes sagesses de ce monde, qui au font se rejoignent dans une trame qui est celle de la connaissance de notre humanité.

Le Professeur Bai défendait l’importance d’une connaissance éclectique permettant de nourrir un regard sur le vivant plus vaste, plus profond, plus libre, et en même temps se révélant porté par une source commune. Il aura étudié toute sa vie chaque jour, mais pouvait encore dire qu’il n’avait pas assez de connaissances. Malgré cela, ces savoirs se sont toujours inscrits dans une application au vivant, afin de ne jamais rester purement intellectuels, mais que toute connaissance puisse être « expérimentée et expérimentable ».


C’est là une des approches spécifiques au Qigong Tuina : « passer de la théorie au ressentir », « passer du ressentir à la théorie ». Apprendre par l’expérience du corps les mécanismes énergétiques qui ont été énoncés par les anciens,...ou encore faire l’expérience et en déduire une fonction, un principe...Ce sont deux façons d’apprendre en s’appuyant sur le vivant, tout comme les anciens auraient fait dit-on, pour fonder la Médecine Traditionnelle Chinoise à travers les époques.

Et, merveille de l’intelligence corporelle, que l’on soit chinois, russe, français..., les points d’acupuncture, les manœuvres de qigong tuina ou les pratiques de qigong..., dépassent notre culture, notre époque, et nous révèlent à travers leur propre langage la connaissance médicale chinoise telle qu’elle a été définie il y a des millénaires.

...Une inscription archaïque de la structure énergétique telle que les Chinois de l’ancien temps l’ont révélée, résonne dans nos cellules et se met en lumière à travers la pratique. Et cela aussi bien chez le praticien « connaisseur », que le patient qui n’a aucune idée de tout cet univers.

C’est parce que la Médecine Chinoise est fondée sur le vivant, et suffisamment souple et vaste pour « couler comme l’eau » à travers toutes les singularités et les changements…, pour « s’unir au Dao »…, que ses lois sont universelles et intemporelles. C’est une trame au-delà de ce qui est manifesté, mais qui est encore pourtant « une manifestation » (une mise en mouvement) du « non manifesté », de la Source, du Dao...c’est la voie du Qì气.


Le Qigong Tuina en pratique :


Qigong Tuina 气 功 推 拿 signifie « massage énergétique ». Qì gōng 气 功 signifiant

« travail de l’énergie », et Tuī ná 推 拿 « pousser et saisir » : deux techniques de massage.

C’est une pratique de traitement manuel de forme douce qui met l’accent sur le climat de détente et de confort durant la séance, aussi bien celui du patient que du praticien, afin que l’énergie puisse circuler librement. « Détendu il y a circulation, crispé il y a stagnation ».(1)

Suivant le principe médical de « Renforcer le Droit, chasser le pathogène », le Qigong Tuina travaille à nourrir l’énergie en profondeur afin que celle-ci soit suffisamment forte pour lutter naturellement contre les facteurs déséquilibrants pour le corps, sans l’agresser. Ainsi, « traiter la Racine » du déséquilibre, et non la « Branche », telle est la tâche du praticien pour permettre au corps de réguler le ou les divers déséquilibres énergétiques sous-jacents à l’apparition de symptômes.

Cela nécessite parfois un suivi de séances plus long, mais un résultat plus profond si les conditions pour la guérison sont bien réunies.


La « forme » des pratiques, que nous nommons « manœuvres », est extrêmement variée ! Près de 200 manœuvres avec des fonctions spécifiques, mais aussi très vastes. Une manœuvre est en général en relation avec les fonctions d’un point, d’un organe, d’un méridien, mais son champs d’action est parfois si profond qu’il est encore à « découvrir », à « expérimenter » par le praticien. Ce sont les fonctions

« cachées ».

Il faut aussi entendre par cela que le « principe de Globalité » est à l’œuvre : c’est à dire qu’à travers un point ou une manœuvre, si la pratique est exercée en profondeur durant suffisamment de temps, il est possible de contacter l’ensemble des mécanismes énergétiques du corps, dépassant donc les fonctions définies pour le point ou la manœuvre en question.


C’est alors un véritable travail d’exploration et d’expérimentation sur la connaissance du vivant à travers la Médecine Chinoise et au-delà, qui est offert au praticien, s’il souhaite s’engager sur cette voie.


Les manœuvres peuvent être lentes, rapides, profondes ou subtiles…, elles suivent des notions d’art martiaux appliquées au travail du toucher énergétique.

Deux aspects sont mis à l’œuvre : la force Lì 力 et l’énergie Qì 气.

Contrairement au Tuina Classique qui vient souvent compléter la pratique de l’acupuncteur, la force seule n’est jamais utilisée en Qigong Tuina. Il y a toujours un travail de juste équilibre entre les deux (comme dans Peng Fa, Na San Yin Jiao, Huan Bao Fa, Na Zhang Men...), ou bien souvent des manœuvres n’utilisant que l’énergie (comme dans les pratiques de Qi Zhen effectuées avec le bout du majeur très subtilement posé sur un point, ou Rou Guan Yuan où le centre de la paume (Lao Gong) vient se poser doucement sur un point et effectuer des mouvements circulaires très lents...).

Les manœuvres n’utilisant que l’énergie sont parfois les plus profondes et puissantes. Elles peuvent créer des mouvement spontanés du Qi qui se manifesteront dans le toucher du praticien s’il « laisse faire » suffisamment.

Travailler une manœuvre longtemps, permet à ses dimensions de se déployer d’avantage, empruntant des chemins plus profonds, et proposant des informations qui pourront nourrir la compréhension du praticien. Il est possible qu’une seule manœuvre, ou un seul point, soit effectué au sein d’une séance, si le besoin se fait ressentir de travailler très en profondeur.


Le Qigong Tuina utilise toutes les méthodes traditionnelles de diagnostic de la Médecine Traditionnelle Chinoise, mais il détient en plus ses propres méthodes, basées sur le ressenti du praticien : diagnostic par la sensation de la main, diagnostic par les rêves, diagnostic par la sensation du cœur, diagnostic par les points Shu du dos, diagnostic de Ren Mai, Chong Mai et Dai Mai…etc.


L’approche du praticien :


Le praticien est un « pont » entre les énergies de l’univers (ou l’énergie de Vie), qui sont à l’œuvre dans le traitement, et le corps du patient. Il n’est pas un acteur, il est un facilitateur. Et pour laisser s’accomplir l’œuvre naturelle de l’énergie, il faut qu’il

« s’efface »..

Le praticien doit développer une approche méditative. Bien sûr il établi le diagnostic, choisi ses manœuvres, et les mets en « action », mais une fois la « forme » établie, et même s’il travaille avec le mouvement, il doit rester simple observateur, pure présence.

C’est toujours un positionnement ambivalent qui est celui de « ne rien faire » et en même temps de « pratiquer une manœuvre », surtout si elle demande un travail de force ou de mouvement...mais nous pouvons dire que c’est la même ambivalence qui nous meut dans la vie : nous « agissons », et en même temps « nous sommes agit » par un mouvement plus profond qui est l’expression du Dao.

...Et d’ailleurs, peut on observer qu’à chaque fois que nous pensons « agir », quelque chose de plus profond a déjà pris le pas sur notre propre volonté ?…

« Méditer », ce n’est pas être immobile. Mais plutôt trouver en soi l’espace immuable de pure Présence, qui contemple la manifestation, le mouvement de la Vie.


« Ainsi le Maître s’occupe de la profondeur et non de la surface,

du fruit et non de la fleur.

Il n’a pas de volonté propre.

Il vit dans la réalité,

et laisse toutes illusions passer ».

Dao De Jing Verset 39. Trad. Stephen Mitchell. (2)


Derrière tout mouvement, et dans le chaos, se trouve cette dimension immuable et éternelle, que nous portons tous. Une Présence-témoin.

Derrière tous les bruits et les tapages, se trouve le Grand Silence que nous sommes…

Et lorsque Cela est reconnu, notre attention peut se poser dessus, sans rien changer ni désirer changer au bruit à la surface, et une Unité se retrouve…


C’est ici que « la main est le prolongement du cœur du praticien », comme l'écrit Amaël Ferrando. (1).


C’est une approche qui peut sembler audacieuse, mais c’est un chemin, celui des Anciens de tout temps. Un chemin permettant à l’intelligence corporelle de « suivre la nature » sans être contrainte par les limitations de l’esprit humain.


A partir de cette Présence spacieuse que peut proposer le praticien, des manifestations peuvent advenir : des sensations, des images...et l’approche du Qigong Tuina se positionne beaucoup sur cet espace là : la dimension des

« informations sensorielles » réceptionnées par le praticien, ou bien le patient.

Ces informations pourront compléter le diagnostic, mais aussi la connaissance des mécanismes énergétiques à l’œuvre, la compréhension du patient...

Ici donc, « le corps est un Enseignant ».

Et ce langage qu’il offre, c’est le langage poétique et symbolique de l’inconscient, celui propre aux rêves..



Les perceptions du praticien, un travail de discernement:


Mais, pour autant, le chemin doit intégrer la notion de discernement.

En effet, selon l’évolution personnelle du praticien, ce qui est perçu sera très souvent un mélange de son inconscient et de celui du patient. Et parfois tendant d’avantage vers les propres représentations qu'il se fait inconsciemment envers son patient. Aussi, s’il n’est pas lui-même conscient, et le regard détaché, envers ses propres conditionnements et les phénomènes de la manifestation en général, le praticien aura tendance à penser que toute information qui lui advient est « cohérente », et à en faire une « vérité » qu’il fixera sur sa représentation du patient. Cela peut faire dévier le diagnostic et amener le praticien à dire des choses ou donner des conseils qui ne seront pas en phase avec la réalité du patient.

Il est donc important de présenter ce qui advient avec beaucoup d'ouverture, comme un questionnement à partager, dans une position humble et détachée.


- Les sensations corporelles :

Les sensations corporelles sont une manifestation concrète, moins sujettes au mental...Nous ressentons du chaud, du froid, du vent, de l'humidité, ou une démangeaison, une piqûre, une douleur...il n’est pas nécessaire d’en faire toute une histoire, et pourtant l'information peut être très utile dans le diagnostic.

Mais nous pouvons cependant concevoir qu'une sensation, comme un climat interne par exemple (le froid), c'est aussi "une ambiance intérieure" qui accompagne la personne dans sa vie intime...elle peut donc être le reflet d'un certain "état psychique".

Le praticien a la tâche de discerner si la sensation qu'il ressent durant le traitement lui appartient, ou si elle est un reflet dans son propre corps de ce qui se passe dans le corps de l'autre. En général, si la sensation disparaît à la fin d'une manœuvre ou de la séance, il est possible de la voir comme une manifestation d'un déséquilibre chez le patient.

Avec l'expérience, c'est tout un vocabulaire de sensations corporelles qui peut accompagner le praticien dans sa démarche de traitement. Par exemple, durant le traitement, ou le bilan par la palpation, l'apparition de démangeaisons dans son corps peut lui indiquer un signe de vent interne lié à un vide de sang chez le patient...Ici le patient n'aura pas forcément de démangeaisons dans son corps, mais ce vide de sang pourrait s'exprimer sous une autre forme..

Le langage corporel sera donc personnel au praticien, et il apprendra a en avoir les clés pour le décrypter en s'appuyant sur les éléments de diagnostic de la médecine chinoise. Il devra encore une fois "questionner" cette information et non pas la prendre pour acquise, afin qu'elle soit constructive.


- Les images mentales:

Les images mentales sont plus délicates à utiliser. Du moins celles que perçoit le praticien, car elles peuvent être facilement induites par son propre mental, et surtout induire des « histoires » et des interprétations psychologique qui peuvent s’éloigner de la réalité du patient. Ce qui aura pour conséquence de créer d'avantage de trouble que de clarté chez le patient également.


Mais lorsqu'elles sont issues d'un esprit "spacieux et détaché", elles sont un formidable outil de compréhension et d’apprentissage sur les mécanismes énergétiques à l’œuvre, et sur la vie en général. Nous pouvons comparer cela à l'analyse d'un rêve, car il s'agit du même langage de l'inconscient, parfois aussi lié à l'inconscient collectif, ou à la dimension spirituelle de l'être (l'Esprit Originel 原神 yuán shén ). Décrypter ce langage symbolique se fait à partir des connaissances propres à la Médecine Chinoise ou sa culture qui est particulièrement imagée, mais aussi plus largement à partir de la Culture personnelle qu'aura développé le praticien (ce que Bai Yunqiao appelait la "Grande Culture").


Le praticien doit donc toujours évaluer la pertinence de ce qui est perçu. Est-ce que cette information est utile pour le traitement? Est-ce qu'elle peut aider le patient ou préciser le diagnostic?


Si nous écoutons notre propre corps profondément, des centaines de sensations, ou d'images selon si nous sommes plus visuel, peuvent nous parvenir... Mais également des odeurs, des goûts...toute perception, qui n'est qu'une trace...

Ce que nous percevons est ce que notre être a perçu a un moment donné de l'existence, ou bien au delà...cela dépasse notre notion "personnelle" du temps...

Les perceptions peuvent être en rapport avec des éléments importants de l'existence, ou pas. Une mémoire corporelle peut être présente, comme si elle remontait à la surface, puis passait son chemin, tout simplement, mais pour autant ne pas faire l'objet d'une problématique. Le praticien doit questionner le patient pour s'en assurer.

Lorsqu'une personne a l'habitude de travailler sur son corps, elle conscientise ce "processus d'apparition et de disparition" en permanence. Ce n'est que le mouvement naturel de la vie.

Le vent a caressé l'arbre un jour, et l'arbre en garde la mémoire, sans aucun état d'âme, juste une trace de vie, simplement, qui est perçue à la surface.. Il n'est pas nécessaire d'en faire un discours.

Percevoir, et laisser passer...


...Il s’agit toujours de revenir Vide, au Silence du Cœur...



C’est aussi dans ce sens que le Qigong Tuina peut être une « Voie ». Trouver le chemin du « vide du cœur », de la Présence, du Silence, même parmi le brouhaha de son esprit…, puis travailler à discerner ce qui se présente...



Lorsque le « vide » et la « simplicité » sont suffisamment établis, par magie un mélange peut s’opérer entre les deux êtres unis dans un seul champs d'énergie. Les ressentis s’expriment à l’unisson. « Deux cœurs peuvent s’interpénétrer ». (1)

Quelque chose porte le traitement, qui devient spontané, ouvert, naturel...et répond au plus juste à ce qui est nécessaire de transformer, sur le moment. Simplement.


« La Grande Voie atteint la simplicité »

Dà dào zhì jiǎn . 大道至简


Le Professeur Bai Yunqiao aura offert un héritage de pratique médicale aux multiples couches qui se joignent vers une racine unique.

L’approche que propose le Qigong Tuina pour le praticien est d’une grande étendue.

Il est libre d’en faire une simple discipline de médecine chinoise, un champs d’expérimentation pour approfondir sa compréhension du vivant, ou encore une Voie vers le « Retour ».


...Restons simples, ouverts, libres de puiser dans cet univers ce qui nourrit notre cœur au service de l’autre..



Pour aller plus loin sur le sujet, il est conseillé de lire l’ouvrage d’Amaël Ferrando : Qigong Tuina – Philosophie et diagnostic, éditions Chariot d’Or, 2020.


Ouvrages cités dans cet article :


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